vendredi 7 mai 2010

"Il n'est pas normal que les juifs ne se sentent pas en sécurité", Maurice Sosnowski

"Je peux comprendre qu'on critique certains dirigeants de l'Etat d'Israël, mais cette focalisation sur un seul pays, qui est une démocratie, me paraît malsaine. Il y a une telle haine que cela en devient suspect."

(Ci-contre, simulacre de checkpoint à l'Université Libre de Bruxelles, 2010)

Le Vif/L'Express a publié un entretien avec Maurice Sosnowski (23 avril 2010).  Marie-Cécile Royen, qui a conduit l'entretien, montre une fois de plus sa remarquable connaissance de communauté juive de Belgique et de ses inquiétudes.  En effet, on ne trouvera jamais sous son excellente plume les traits caricaturaux qui caractérisent les écrits de bien de ses confrères lorsqu'il s'agit des Juifs et d'Israël.  

Nouveau président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), Maurice Sosnowski veut apaiser les juifs belges et mettre un terme à la brouille avec le socialiste André Flahaut [Belgique: "Psychodrame antisioniste": scènes "d'une grande violence physique et morale"].

Le Vif/L'Express : Vous venez d'être reçu au cabinet du Premier ministre, en compagnie du président du Forum der Joodse Organisaties d'Anvers. Vous inscrivez-vous dans la continuité de votre prédécesseur Joël Rubinfeld, qui rugissait contre l'antisémitisme ? [Joël Rubinfeld: "J’ai voulu que nous puissions redevenir Juifs au quotidien"]

Maurice Sosnowski : Je ne vais certes pas le contredire. Il n'a été, à sa manière, que le porte-parole du sentiment d'abandon qu'éprouvent les juifs de Belgique. Bien qu'étant agnostique mais fier de ma culture et de mon histoire, je suis blessé lorsqu'un rabbin est agressé parce qu'il porte la kippa ou que les étudiants juifs doivent subir, à l'ULB, des propos négationnistes ou antisémites assez habilement tournés pour ne pas enfreindre la loi. Nos édiles politiques ne semblent pas encore avoir pris la mesure du phénomène. Après la manifestation du 11 janvier 2009, lorsqu'on leur a dit qu'on criait "mort aux juifs" dans le cortège devant lequel ils marchaient, ils auraient dû condamner la chose. A ce jour, ils ne l'ont toujours pas fait. Je peux comprendre qu'on critique certains dirigeants de l'Etat d'Israël, mais cette focalisation sur un seul pays, qui est une démocratie, me paraît malsaine. Il y a une telle haine que cela en devient suspect.


Avez-vous hésité avant de briguer cette présidence ?

On me l'a demandé, sans doute parce que j'apparaissais comme quelqu'un d'au-dessus de la mêlée, dont la carrière était déjà faite et dont les fonctions à l'ULB présumaient d'une certaine sérénité dans l'exercice du leadership. L'une des raisons pour lesquelles j'ai accepté a été le choc que m'a causé, à l'occasion de l'affaire Belliraj, la réactivation de l'enquête sur l'assassinat de mon beau-frère Joseph Wybran, chef du service d'immunologie de l'ULB et alors président du CCOJB, le 3 octobre 1989. C'était un scientifique d'envergure internationale et un homme de paix et de tolérance, tout comme le recteur de la Grande Mosquée de Bruxelles, sans doute assassiné par la même mouvance terroriste, le 29 mars 1989. Je m'inscris dans cette continuité.

Quels sont vos buts à la tête du CCOJB ?

Je veux me convaincre que ce que j'entends est faux, que ce sentiment d'abandon n'est pas justifié, parce que je me sens très belge. La Belgique est ce pays qui a accueilli mes parents, des immigrés, qui ont pu y construire leur vie après leur libération des camps. Je veux rassurer les juifs, apaiser leur angoisse, car je n'ai pas envie que mes enfants décident de s'établir ailleurs. Pour y parvenir, je dois moi-même être rassuré sur l'état réel de la situation. Je vais donc reprendre le dialogue avec les partis politiques et les médias, voir avec eux comment combattre l'antisémitisme, tout en respectant le principe de la liberté d'expression dont je suis un fervent défenseur, étant libre exaministe. En effet, il faut absolument mettre des limites à la diffusion de l'antisémitisme, en paroles et en actes. Quand je vois la difficulté qu'il y déjà à obtenir d'une mosquée (NDLR : celle du Cinquantenaire, à Bruxelles), de la KULeuven ou de l'université de Gand qu'elles mettent fin à des liens avec des sites négationnistes... On dit de la minorité juive dans un pays qu'elle est le baromètre de la démocratie. Avec les musulmans, nous devons être attentifs, ensemble, à ces évolutions, car le racisme peut se retourner un jour contre l'un ou l'autre de ces groupes.

Le CCOJB a décidé, à une écrasante majorité, d'aller en appel contre la décision du tribunal qui a acquitté l'ancien ministre socialiste de la Défense, André Flahaut, du fait d'avoir tenu des propos antisémites lors d'une manifestation, à Nivelles, qui faisait un parallèle entre la Shoah et la condition des Palestiniens...

Je prends le relais mais on va essayer de trouver une sortie par le haut à cette crise. C'est l'un des objectifs de mon mandat.

Il existe pourtant une cellule de veille contre l'antisémitisme au Centre pour l'égalité des chances...

Nous avons eu des rapports difficilles avec eux [ICI et ICI]. Ils ne jugent pas toujours les choses de la même manière que nous. Je vais essayer, avec eux, d'obtenir un travail de meilleure qualité, puisque nous nous voyons tous les trois mois pour faire un état des lieux.

Le CCOJB tient-il lui même une liste des paroles et des actes antisémites ?

Depuis que je suis président, je reçois tous les jours des mails de personnes qui se sentent blessées, indignées... L'un des derniers en date fait état du nouveau conseil d'administration du Vlaams Vredesinstituut (NDLR : Institut flamand pour la paix), où le lobby anti-israélien se renforce, et qui est chargé de distribuer l'argent de la Communauté flamande - environ 900 000 euros par an - aux organisations non gouvernementales émanant de la société civile. La présentation systématiquement négative d'Israël n'aide pas à faire reculer l'antisémitisme. Dans ma propre université, on laisse des groupuscules arabo-gauchistes installer des check-points figurant l'occupation israélienne sous le prétexte qu'une université doit être "ouverte sur le monde" [Simulacre de checkpoint israélien à l'ULB (et autres petits égarements) - photo ci-dessus]. En tout cas, c'est la réponse que j'avais reçue en 1973, pendant la guerre du Kippour, alors que mes amis et moi nous nous étions fait massacrer, au sens propre du terme, par le même genre de groupuscules qui tenaient déjà le haut du pavé
à l'ULB.

Mais n'y a-t-il pas un autre travail de prévention à faire que par le biais de cette importation indirecte du conflit israélo-palestinien ?

C'est aussi mon avis. Tout passe par l'éducation et la communication. J'avais pleuré lorsque j'avais lu dans Le Soir du 25 juin 2003 le récit de Thomas Gergely (NDLR : professeur de journalisme à l'ULB, ancien directeur de l'Institut d'étude du judaïsme) sur l'enterrement de sa mère. Il écrivait comment sa mère qui était née sous les insultes antisémites dans sa Hongrie natale était morte aux cris de "Mort aux juifs !"
à Bruxelles, lorsque son corbillard, recouvert d'une étoile de David, était passé devant une école primaire fréquentée par des enfants maghrébins. J'ai des étudiants et des collègues marocains ou algériens qui, au CHU Saint-Pierre et à l'Institut Bordet, s'entendent parfaitement bien avec moi et continuent de me l'écrire, après être retournés dans leurs pays. Mais ce n'est pas ce que ressentent beaucoup de juifs au contact de la rue. Ce n'est pas normal qu'ils ne se sentent pas en sécurité, que toutes leurs fêtes ou cérémonies fassent l'objet d'une protection spéciale. Et ce qui est encore plus anormal, c'est le fait que tout le monde a l'air de trouver cela normal ! Je vais donc essayer que les écoles fassent un travail de sensibilisation : c'est par là que tout commence. A quoi sert-il de dire sur tous les tons : "Plus jamais ça !" si nous n'en tirons pas, concrètement, des leçons pour le présent ? L'ASBL L'Enfant caché est de moins en moins invitée à parler de la Shoah et des enfants juifs cachés pendant la guerre. L'humain doit reprendre ses droits.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire