vendredi 29 octobre 2010

"Le traumatisme pour notre société qu’a été la Shoah a-t-il pour autant terrassé la Bête immonde ?", Joël Rubinfeld

"Il n'y a pas de politique de mémoire en Belgique. Si ce n'est un vague soutien à des initiatives relevant au mieux de la bonne conscience. […] En France, une déclaration comme celle de Jacques Chirac au Vel' d'Hiv' en 1995 ne nécessitait pas une expertise d'ordre historique, mais bien une volonté politique de rompre avec une vérité officielle désavouée par la culture historique et la conscience collective. En Belgique, nous manquons singulièrement des deux." (Maxime Steinberg)

Repris du blog de Joël Rubinfeld: Conférence sur la Shoah, la Mémoire et le négationnisme à l'ULB

Extraits de l'allocution d'ouverture de Joël Rubinfeld, modérateur de la conférence «1940-1945, Belgique docile. 2010, Belgique rédemptrice?» organisée par l'Union des Étudiants Juifs de Belgique, le Cercle du Libre Examen, l'Association des Cercles Étudiants et le Cercle des Sciences le 27 octobre 2010, à l'Université libre de Bruxelles

"Nous ne pouvons influer sur le passé. Mais c’est du passé que nous devons tirer les enseignements pour bâtir un avenir meilleur. En d’autres mots, le passé ne sert à rien s'il ne permet d’éclairer l'avenir et s'il ne force pas chacun d'entre nous à prévenir la répétition des tragédies.

Au-delà des professions de foi, au-delà du slogan «Plus jamais ça!» qui, ces dernières années, peut parfois sonner creux aux oreilles de certains, le traumatisme pour notre société qu’a été la Shoah a-t-il pour autant terrassé une fois pour toutes la Bête immonde ? Le génocide des Arméniens au début du XXe siècle, ou le génocide des Tutsi qui est venu le ponctuer, nous ont-il une fois pour toutes immunisé de ces crimes absolus et imprescriptibles ?  Je laisserai le soin à nos orateurs de répondre à ces interrogations, mais je voudrais pour ma part apporter quelques éléments à cette réflexion.


- Dans notre pays, moins d’un siècle après le génocide des Arméniens, un ministre qui nie la réalité du génocide des Arméniens siège au gouvernement bruxellois. Dans le même registre, nous avions, pour les dernières élections, des candidats négationnistes sur les listes de 3 des 5 partis démocratiques francophones aujourd’hui présents au Parlement.

- Dans notre pays, quinze ans après le génocide des Tutsi, s’est tenue une conférence révisionniste du génocide des Tutsi à quelques mètres d’ici, dans cette même université.

- Dans notre pays, en 2008, 60 ans après la Shoah, un député a ouvert les portes du Parlement, cœur de notre démocratie, aux représentants du Hezbollah - ce parti dont les membres défilent fièrement en faisant le salut nazi - ainsi qu'à la télévision libanaise Al-Manar qui se targue de diffuser dans le monde entier l’adaptation en arabe des Protocoles des Sages de Sion.

- Dans notre pays, en 2009, des représentants des 4 partis francophones démocratiques d’alors ont défilé dans les grandes artères de Bruxelles, en tête d’un cortège au sein duquel fourmillaient les banderoles négationnistes et résonnaient les cris de «Mort aux Juifs!».

- Dans notre pays, en 2010, notre Commissaire en poste à la Commission européenne peut se permettre de stigmatiser l’ensemble des Juifs de la planète, en ce compris le «Juif moyen», sans que cela ne suscite la moindre réaction, si ce n’est de la part des organisations juives.

- Dans le monde dans lequel nous vivons, aujourd’hui, l’Adolf Hitler en herbe iranien peut donner libre cours à ses délires antisémites, proférer ses menaces génocidaires et organiser des conférences réunissant le gratin du négationnisme planétaire sans que cela ne suscite grand chose, si ce n’est des mesurettes. A l’heure où je vous parle, notre ambassadeur est toujours en poste à Téhéran. [...]

Pour conclure, je laisse la parole à Maxime Steinberg à qui j’avais demandé, en 2008, en ma qualité de président du CCOJB, de nous livrer son analyse sur le rapport du CEGES, analyse qu’il a rédigée avec le concours de Jean-Laurent Van Lint. En voici un extrait: «Nous accusons chez nous en permanence un retard concernant l'étude de la déportation, mais aussi des conclusions qu'il y aurait lieu d'en tirer. Et, partant, il n'y a pas de politique de mémoire en Belgique. Si ce n'est un vague soutien à des initiatives relevant au mieux de la bonne conscience. (…) En France, une déclaration comme celle de Jacques Chirac au Vel' d'Hiv' en 1995 ne nécessitait pas une expertise d'ordre historique, mais bien une volonté politique de rompre avec une vérité officielle désavouée par la culture historique et la conscience collective. En Belgique, nous manquons singulièrement des deux.»

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