jeudi 19 novembre 2009
Pour Francis Martens: Israël Un État de trop ? Un débat trop loin ?
Source: Collectif Dialogue et Partage
En réponse à la tribune libre de six professeurs de l’UCL intitulée «La lutte contre l’antisémitisme et son dévoiement» et celle de Francis Martens intitulée «Vers un nouvel antisémitisme»
Publiée le 25 mai 2002
La critique de la politique d´Israël doit-elle aller jusqu´à remettre en cause la légitimité de l´existence de l´Etat juif? Libre à certains de le revendiquer, libre à d´autres de s´en indigner.
Toute critique, fût-elle vive, à l´encontre de l´action d´Ariel Sharon ne peut être taxée d´antisémitisme. Même une remise en cause des grandes lignes de la politique menée ces dernières années par l´Etat d´Israël ne mérite guère ce qualificatif. A partir de ce véritable postulat, auquel nous ne pouvons qu´adhérer, d´aucuns tentent subtilement d´inverser radicalement le propos: aucune critique d´Israël, quels que soient les arguments sur lesquels elle se fonde, les images auxquelles elle recourt et les sentiments refoulés qu´elle fait resurgir, ne saurait être tenue comme une manifestation d´antisémitisme, dès lors qu´elle vise explicitement l´Etat et non le peuple juif.
Ainsi certaines thèses nous paraissent dépasser, et de loin, la critique parfaitement légitime d´une politique ou la déconstruction de certains mythes. Allant jusqu´à remettre en question la légitimité d´un Etat juif, accusant Israël de tous les maux, elles encouragent une diabolisation insupportable. Signaler ces dérives constitue la raison d´être de notre Collectif. (2)
L´une de ces thèses consiste à parler de la création de l´Etat d´Israël comme d´un `péché originel´ - reprenant en cela la formulation malheureuse de certains historiens - car elle se serait faite au mépris d´un autre peuple qui occupait déjà la région et se serait traduite par l´expulsion de 600000 Palestiniens.
Ainsi toute l´histoire du conflit israélo-palestinien reposerait sur le déni de ce `péché originel´ dont se seraient rendus coupables les sionistes. Ce déni expliquerait notamment pourquoi l´Etat juif, né de la persécution et de l´exclusion, s´est servi de l´alibi de la Shoah pour persécuter à son tour les Palestiniens et pratiquer impunément la politique du fait accompli sans crainte de sanctions internationales.
Afin de donner quelque chance à la paix, les Israéliens et les Juifs de la diaspora sont invités à reconnaître ce `péché originel´, au risque d´engendrer une nouvelle forme d´antisémitisme dont Israël porterait cette fois l´entière responsabilité.
Cette thèse nous indigne profondément. D´abord parce qu´elle transforme une fatalité historique née des convulsions du vingtième siècle en une faute par définition inexpiable, faisant resurgir du même coup le vieux thème chrétien de la culpabilité originelle des Juifs. Ensuite, parce qu´elle omet le `péché originel´ du monde arabo-musulman, le refus du plan de partage de la Terre Sainte proposé le 29 novembre 1947. De ce refus, seul, et de la guerre à Israël qui s´ensuivit, éclata le drame palestinien.
Mais voilà. En simplifiant outrageusement la réalité, le manichéisme permet de soulager la pensée et de plier les faits aux fantasmes. On aura donc, d´un côté, les bourreaux sionistes colonialistes et de l´autre les innocentes victimes palestiniennes. Armé de ce viatique, on accusera pêle-mêle Israël de constituer une démocratie à temps partiel, de pratiquer l´apartheid, d´être la source principale de l´antisémitisme et de servir de `caisse de résonance à la sacralisation d´un génocide `unique´ (3) (ne l´est-il pas?). Mais en même temps, on omettra de signaler l´antisémitisme virulent des mouvements islamistes, leur volonté affichée de détruire Israël (et l´Occident). On oubliera de mentionner la conférence de Durban qui, sous la houlette d´une sinistre brochette de dictatures, a mis Israël au ban des nations. On refusera le qualificatif d´antisémitisme pour décrire les attaques de synagogues en Europe. Et bien sûr, on évitera de condamner fermement les kamikazes, préférant motiver ces actes par le désespoir.
Ce cercle vicieux de la pensée s´accorde parfaitement avec la pratique systématique de l´amalgame: tous les Israéliens ou presque soutiennent l´extrême droite et dans la foulée, tous les Juifs de la diaspora sont accusés de cautionner la politique des implantations. Une vision qui sous-estime le débat qui agite les communautés juives et surestime le soutien des Israéliens à la vision des extrémistes. Certes, une majorité d´Israéliens, traumatisés par la seconde Intifada, ont élu Ariel Sharon pour ses promesses de sécurité et non pour entretenir la chimère d´un Grand Israël. Tout récemment encore, un sondage indiquait que 68pc des Israéliens étaient en faveur de la création d´un Etat palestinien si cela pouvait enfin amener la paix et la sécurité dans la région.
Mais à quoi bon finasser? Tout ce qu´Israël fait ou ne fait pas aggrave son cas et augmente `le poids de sa dette´ (3). Même la renaissance patente du sentiment judéophobe en Occident finit par se retourner contre cet Etat, puisque in fine, il en est l´instigateur. N´a-t-on pas là la plus belle illustration de ce qu´est un bouc émissaire?
Reconnaître le droit d´Israël de vivre dans les frontières d´avant 1967, pour ajouter aussitôt que ce droit doit s´accommoder du retour des réfugiés palestiniens, allant même plus loin que les exigences de l´Autorité Palestinienne, signifie, comme tant d´autres qui n´osent l´avouer ouvertement, la disparition d´un Etat à prédominance juive au profit d´une utopique démocratie multiculturelle et laïque avec une minorité juive. Bref, la cause est entendue: le minuscule Etat juif est de trop.
Plus que jamais, il est exigé des Juifs qu´ils fassent leur deuil d´un idéal incarné dans un territoire, ce rêve fou des pères du sionisme. Orphelins d´une terre, il ne leur restera plus qu´à se résigner à l´exil, la terre promise assignée à l´état d´éternelle promesse. Ainsi dispersé et minoritaire, le peuple juif remplirait au mieux sa fonction messianique, fécondant les cultures qu´il côtoie et forgeant des destins d´exception. Mais sur ce chapitre hélas, l´Histoire avec son cortège de persécutions a déjà rendu son verdict. Et c´est précisément pour cette raison que les sionistes ont tant souhaité que les Juifs deviennent enfin un peuple pareil aux autres, à l´égal des autres, ni pire ni meilleur qu´un autre. Veut-on leur ôter ce droit?
Est-ce dans ce but que l´on utilise les termes les plus outranciers: de massacre à génocide, en passant par fascisme, épuration ethnique ou racisme? Autant de mots qui visent à diaboliser Israël. Tandis qu´on auréole les Palestiniens et que leurs armes les plus monstrueuses telles les attentats-suicides `source d´un espoir infini de destruction, ressource d´une négation de toute possibilité démocratique´ suscitent une intolérable indulgence (4).
De même, n´ira-t-on pas jusqu´à qualifier de pacifistes ceux qui ont pris unilatéralement le parti d´Arafat? Comment s´accommoder du dévoiement du mot sionisme, mouvement d´émancipation nationale, si la plupart de ceux qui l´emploient en ignorent le sens?
Il est plus qu´urgent de sortir de l´ère de la vitupération et de chercher des voies de rapprochement entre les uns et les autres, de soutenir les Palestiniens modérés qui tels Sari Nusseibeh et Hanane Ashraoui ont récemment signé une pétition demandant l´arrêt des attentats-suicides contre les civils, bref, de nous aider tous à sortir du chaudron infernal qu´est devenue cette région. Et ce chaudron n´a nul besoin des énormes quantités d´huile que l´on ne cesse de verser à distance sur son feu.
(1) Sara Brajbart, Maurice Einhorn, Pascale Gruber, André Brombart, Michel Laub, Jacques Zajtman, Michel Gross, Joël Kotek, Doubi Ajami, Georges Hirsch...
Voir la liste des membres et le texte complet sur le site
http://www.lalibre.be
(2) Lire dans `La Libre Belgique´, `Deux lectures de l´histoire´, Francis Martens, article du 4/4/2002 et `La lutte contre l´antisémistisme et son dévoiement´ de six professeurs de l´UCL (12/6/2002) en ligne sur http://www.lalibre.be
(4) `Les temps modernes´, n° 618.
En réponse à la tribune libre de six professeurs de l’UCL intitulée «La lutte contre l’antisémitisme et son dévoiement» et celle de Francis Martens intitulée «Vers un nouvel antisémitisme»
Publiée le 25 mai 2002
La critique de la politique d´Israël doit-elle aller jusqu´à remettre en cause la légitimité de l´existence de l´Etat juif? Libre à certains de le revendiquer, libre à d´autres de s´en indigner.
Toute critique, fût-elle vive, à l´encontre de l´action d´Ariel Sharon ne peut être taxée d´antisémitisme. Même une remise en cause des grandes lignes de la politique menée ces dernières années par l´Etat d´Israël ne mérite guère ce qualificatif. A partir de ce véritable postulat, auquel nous ne pouvons qu´adhérer, d´aucuns tentent subtilement d´inverser radicalement le propos: aucune critique d´Israël, quels que soient les arguments sur lesquels elle se fonde, les images auxquelles elle recourt et les sentiments refoulés qu´elle fait resurgir, ne saurait être tenue comme une manifestation d´antisémitisme, dès lors qu´elle vise explicitement l´Etat et non le peuple juif.
Ainsi certaines thèses nous paraissent dépasser, et de loin, la critique parfaitement légitime d´une politique ou la déconstruction de certains mythes. Allant jusqu´à remettre en question la légitimité d´un Etat juif, accusant Israël de tous les maux, elles encouragent une diabolisation insupportable. Signaler ces dérives constitue la raison d´être de notre Collectif. (2)
L´une de ces thèses consiste à parler de la création de l´Etat d´Israël comme d´un `péché originel´ - reprenant en cela la formulation malheureuse de certains historiens - car elle se serait faite au mépris d´un autre peuple qui occupait déjà la région et se serait traduite par l´expulsion de 600000 Palestiniens.
Ainsi toute l´histoire du conflit israélo-palestinien reposerait sur le déni de ce `péché originel´ dont se seraient rendus coupables les sionistes. Ce déni expliquerait notamment pourquoi l´Etat juif, né de la persécution et de l´exclusion, s´est servi de l´alibi de la Shoah pour persécuter à son tour les Palestiniens et pratiquer impunément la politique du fait accompli sans crainte de sanctions internationales.
Afin de donner quelque chance à la paix, les Israéliens et les Juifs de la diaspora sont invités à reconnaître ce `péché originel´, au risque d´engendrer une nouvelle forme d´antisémitisme dont Israël porterait cette fois l´entière responsabilité.
Cette thèse nous indigne profondément. D´abord parce qu´elle transforme une fatalité historique née des convulsions du vingtième siècle en une faute par définition inexpiable, faisant resurgir du même coup le vieux thème chrétien de la culpabilité originelle des Juifs. Ensuite, parce qu´elle omet le `péché originel´ du monde arabo-musulman, le refus du plan de partage de la Terre Sainte proposé le 29 novembre 1947. De ce refus, seul, et de la guerre à Israël qui s´ensuivit, éclata le drame palestinien.
Mais voilà. En simplifiant outrageusement la réalité, le manichéisme permet de soulager la pensée et de plier les faits aux fantasmes. On aura donc, d´un côté, les bourreaux sionistes colonialistes et de l´autre les innocentes victimes palestiniennes. Armé de ce viatique, on accusera pêle-mêle Israël de constituer une démocratie à temps partiel, de pratiquer l´apartheid, d´être la source principale de l´antisémitisme et de servir de `caisse de résonance à la sacralisation d´un génocide `unique´ (3) (ne l´est-il pas?). Mais en même temps, on omettra de signaler l´antisémitisme virulent des mouvements islamistes, leur volonté affichée de détruire Israël (et l´Occident). On oubliera de mentionner la conférence de Durban qui, sous la houlette d´une sinistre brochette de dictatures, a mis Israël au ban des nations. On refusera le qualificatif d´antisémitisme pour décrire les attaques de synagogues en Europe. Et bien sûr, on évitera de condamner fermement les kamikazes, préférant motiver ces actes par le désespoir.
Ce cercle vicieux de la pensée s´accorde parfaitement avec la pratique systématique de l´amalgame: tous les Israéliens ou presque soutiennent l´extrême droite et dans la foulée, tous les Juifs de la diaspora sont accusés de cautionner la politique des implantations. Une vision qui sous-estime le débat qui agite les communautés juives et surestime le soutien des Israéliens à la vision des extrémistes. Certes, une majorité d´Israéliens, traumatisés par la seconde Intifada, ont élu Ariel Sharon pour ses promesses de sécurité et non pour entretenir la chimère d´un Grand Israël. Tout récemment encore, un sondage indiquait que 68pc des Israéliens étaient en faveur de la création d´un Etat palestinien si cela pouvait enfin amener la paix et la sécurité dans la région.
Mais à quoi bon finasser? Tout ce qu´Israël fait ou ne fait pas aggrave son cas et augmente `le poids de sa dette´ (3). Même la renaissance patente du sentiment judéophobe en Occident finit par se retourner contre cet Etat, puisque in fine, il en est l´instigateur. N´a-t-on pas là la plus belle illustration de ce qu´est un bouc émissaire?
Reconnaître le droit d´Israël de vivre dans les frontières d´avant 1967, pour ajouter aussitôt que ce droit doit s´accommoder du retour des réfugiés palestiniens, allant même plus loin que les exigences de l´Autorité Palestinienne, signifie, comme tant d´autres qui n´osent l´avouer ouvertement, la disparition d´un Etat à prédominance juive au profit d´une utopique démocratie multiculturelle et laïque avec une minorité juive. Bref, la cause est entendue: le minuscule Etat juif est de trop.
Plus que jamais, il est exigé des Juifs qu´ils fassent leur deuil d´un idéal incarné dans un territoire, ce rêve fou des pères du sionisme. Orphelins d´une terre, il ne leur restera plus qu´à se résigner à l´exil, la terre promise assignée à l´état d´éternelle promesse. Ainsi dispersé et minoritaire, le peuple juif remplirait au mieux sa fonction messianique, fécondant les cultures qu´il côtoie et forgeant des destins d´exception. Mais sur ce chapitre hélas, l´Histoire avec son cortège de persécutions a déjà rendu son verdict. Et c´est précisément pour cette raison que les sionistes ont tant souhaité que les Juifs deviennent enfin un peuple pareil aux autres, à l´égal des autres, ni pire ni meilleur qu´un autre. Veut-on leur ôter ce droit?
Est-ce dans ce but que l´on utilise les termes les plus outranciers: de massacre à génocide, en passant par fascisme, épuration ethnique ou racisme? Autant de mots qui visent à diaboliser Israël. Tandis qu´on auréole les Palestiniens et que leurs armes les plus monstrueuses telles les attentats-suicides `source d´un espoir infini de destruction, ressource d´une négation de toute possibilité démocratique´ suscitent une intolérable indulgence (4).
De même, n´ira-t-on pas jusqu´à qualifier de pacifistes ceux qui ont pris unilatéralement le parti d´Arafat? Comment s´accommoder du dévoiement du mot sionisme, mouvement d´émancipation nationale, si la plupart de ceux qui l´emploient en ignorent le sens?
Il est plus qu´urgent de sortir de l´ère de la vitupération et de chercher des voies de rapprochement entre les uns et les autres, de soutenir les Palestiniens modérés qui tels Sari Nusseibeh et Hanane Ashraoui ont récemment signé une pétition demandant l´arrêt des attentats-suicides contre les civils, bref, de nous aider tous à sortir du chaudron infernal qu´est devenue cette région. Et ce chaudron n´a nul besoin des énormes quantités d´huile que l´on ne cesse de verser à distance sur son feu.
(1) Sara Brajbart, Maurice Einhorn, Pascale Gruber, André Brombart, Michel Laub, Jacques Zajtman, Michel Gross, Joël Kotek, Doubi Ajami, Georges Hirsch...
Voir la liste des membres et le texte complet sur le site
http://www.lalibre.be
(2) Lire dans `La Libre Belgique´, `Deux lectures de l´histoire´, Francis Martens, article du 4/4/2002 et `La lutte contre l´antisémistisme et son dévoiement´ de six professeurs de l´UCL (12/6/2002) en ligne sur http://www.lalibre.be
(4) `Les temps modernes´, n° 618.
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