Article de Marie-Cécile Royen "L'enjeu israélo-palestinien, un brûlot... bruxellois" dans Le Vif/L'Express Marie-Cécile Royen (18/12/2009)
Le conflit israélo-arabe est en passe de devenir un enjeu de politique locale à Bruxelles. Aux élections régionales de juin 2009, le petit parti radical bruxellois Egalité a fait campagne sur deux thèmes: l’international (Palestine, Irak, Afghanistan, Congo…) et le local (l’infériorisation des enfants d’immigrés). Il a obtenu plus de 4000 voix. Pas énorme. Néanmoins, ce micro-parti islamo-gauchiste agit comme un révélateur de tendances. Les deux causes sur lesquelles il veut attirer l’attention – la déréliction des jeunes des milieux populaires et l’impéralisme judéo-occidental – sont brandies jusqu’à se confondre émotionnellement. Cette virulence fait parfois irruption sur la scène politique conventionnelle, qui se réveille alors avec une mauvaise gueule de bois. La preuve par le débat qui s’est tenu, le 9 décembre dernier, en commission des Affaires économiques du parlement bruxellois, autour de la question des relations commerciales avec l’Etat d’Israël.
Il s’agissait de pas grand chose, en somme: une mission économique multisectorielle organisée en Israël du 6 au 10 décembre par Bruxelles Export, conjointement avec les Régions wallonne et flamande. But: promouvoir dix entreprises, dont quatre bruxelloises, actives dans les services médicaux, les jeux vidéo, le traitement des déchets et les loisirs. Mais ce voyage a déplu aux députés Jamal Ikazban (PS), Ahmed El Khannouss (cdH) et Sarah Turine (Ecolo), membres de la majorité de l’olivier et, tous trois, échevins ou conseillère communale molenbeekois.
"L’argent a la couleur du sang"
En séance, Jamal Ikazban s’est interrogé "fortement" sur le bien-fondé de cette mission au regard de la situation politique et la manière dont Israël a mené son attaque contre Gaza en décembre 2008 et janvier 2009. Il s’est référé au rapport Goldstone (NDLR: commandé par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU), "accablant avant tout pour Israël" et a mis en doute le caractère démocratique d’Israël
La vice-présidente d’Ecolo, Sarah Turine, après avoir critiqué sévèrement Israël, a voulu s’assurer que les partenaires israéliens des firmes belges n’étaient pas liés à la colonisation. Ahmed El Khannouss (cdH), par ailleurs conseiller au cabinet du ministre régional de l’Economie Benoît Cerexhe, a repris les arguments qu’il avait déjà développés dans La Capitale, en octobre: "Une mission dans un pays qui bafoue les droits des Palestiniens et qu’un rapport de l’ONU juge avoir commis des crimes de guerre très graves est inopportune. C’est un mauvais message. Dire qu’il ne faut pas mélanger économie et politique est absurde".
L’ennui, c’est qu’aucun autre pays au monde, y compris ceux qui se rendent coupables des pires violations des droits de l’homme et avec lesquels la Belgique entretient des relations commerciales, n’a jamais suscité un tel intérêt dans l’enceinte bruxelloise. La députée Viviane Teitelbaum (MR) n’a pas manqué de le relever. "Attaqué depuis sa création et bien qu’il ne soit pas à l’abri des critiques, l’Etat d’Israël est une démocratie et un pays ami, a-t-elle rappelé. Dès lors que des relations diplomatiques existent, que des relations culturelles et économiques existent, je ne comprends pas le sens des interpellations de mes collègues. J’ai toujours plaidé contre tous les boycotts qui fragilisent et radicalisent les populations".
Lorsque le ministre Benoît Cerexhe a défendu la mission, lui déniant tout caractère de soutien au gouvernement israélien, le député Izkaban s’est fâché... tout rouge: "Si l'argent n'a pas d'odeur, il a en tout cas une couleur... et cette couleur, c'est celle du sang". Choquée, Viviane Teitelbaum confie que le débat transpirait la "haine".
Un tapis de fleurs bruxellois pour Tel-Aviv
Ce n’est pas la première fois que les Bruxellois connaissent des poussées de fièvre à propos du conflit israélo-arabe. En septembre, les édiles de la Ville de Bruxelles avaient été inondés de protestations à la suite de la décision du bourgmestre Freddy Thielemans (PS) d’accepter l’invitation de la mairie de Tel-Aviv pour le centième anniversaire de la ville. La place Yitzhak Rabin devait être ornée d’un riche tapis de dahlias et de bégonias commandés à des horticulteurs belges, en l’honneur du Prix Nobel de la paix, assassiné par un extrémiste juif. A l’époque, l’échevin bruxellois Hamza Fassi-Firhi (cdH) avait déjà pris ses distances avec le voyage de Thielemans, qualifié de "geste politique symboliquement lourd", arguant de la "sensibilité de la population bruxelloise" par rapport à la situation au Proche-Orient.
Mais quelle population bruxelloise? Malgré les SMS et les courriers comminatoires, le bourgmestre n'a pas renoncé à son déplacement, pas plus que la mission économique de la Région bruxelloise n'a été supprimée. La stratégie des partis politiques consiste-t-elle à autoriser certains élus à tenir des "propos politiques symboliques", sans effet sur la réalité des contacts belgo-israéliens, du moins jusqu'à présent? "Le bureau du Parlement, dans lequel siègent tous les partis, avait donné son feu vert aux interpellations, fait observer le député bruxellois André du Bus de Warnaffe (cdH). Le débat a permis d’expurger quelque chose. Depuis, la tension est retombée. Mais il faut rester clairvoyant par rapport aux enjeux bruxellois".
La crise du Proche-Orient affecte la vie publique bien plus que ne veulent l’admettre les responsables politiques. La réponse du berger à la bergère ne devrait pas tarder avec le Parti populaire de Mischaël Modrikamen, qui s'est installé dans des bureaux loués par Joël Rubinfeld, président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), déjà classé plus à droite que ses prédécesseurs. La polarisation se durcit. Le MR lui-même est diabolisé par la communauté maghrébine à cause de ses positions désormais intransigeantes sur la question des signes religieux. Ses sorties sur Israël, bien que très très calibrées, ne vont pas faire remonter sa cote...
La théorie de l’équidistance, qui voudrait que les responsables politiques belges s'abstiennent de prendre parti en faveur d'Israël ou des Palestiniens et qui a permis de mettre une sourdine aux tensions internes issues de l’interminable conflit, risque de ne plus tenir longtemps. Car, déjà, la balance penche en faveur des Palestiniens. "L’accord de coopération dans le domaine de la recherche et du développement industriel entre la Région de Bruxelles-Capitale et Israël (1998) est gelé depuis 2002, tandis que les Territoires palestiniens (sauf Gaza, depuis la prise de pouvoir du Hamas) continuent à être aidés de diverses manières par le gouvernement fédéral et la Communauté française", rappelle Viviane Teitelbaum.
Une rencontre apaisante
Le PS, qui était autrefois l’ancrage naturel des juifs bruxellois, les a beaucoup déçus. Au point que la publication, après une réunion au sommet, le 10 décembre dernier, d’un communiqué commun du président du PS, Elio Di Rupo, et de Joël Rubinfeld passe pour une chaleureuse embrassade. "Bien que subsiste une lecture divergente de certains événements du passé, la rencontre a permis de clarifier les incompréhensions et de rétablir un climat de dialogue. Le PS et le CCOJB ont convenu de redoubler d’efforts pour une meilleure compréhension mutuelle".
En cause, un contentieux qui s’alourdit entre certains juifs et certains socialistes: les propos d'André Flahaut (assimilant soi-disant la politique israélienne au nazisme, mais un jugement vient de l'exonérer du reproche d’antisémitisme, contre lequel le CCOJB ira en appel), de Philippe Moureaux (PS) au Vif/L'Express ("Cela m'attriste, aujourd'hui, de voir les juifs refuser aux musulmans ce droit à la différence dont ils ont bénéficié"), d'Anne-Sylvie Mouzon, députée bruxelloise PS ("Il y a un judaïsme extrême qui autorise cette forme de colonialisme qu'on appelle le sionisme"), de Jamal Izkaban ("l’odeur du sang") et, enfin, la manifestation contre la guerre de Gaza dans les rues de Bruxelles, le 11 janvier... Tout cela a ébranlé la confiance juive. Définitivement?
Au lendemain de la rencontre, Elio Di Rupo écrivait sur son blog que "le PS aurait dû réagir pour condamner fermement les dérapages antisémites et négationnistes qui ont eu lieu lors de la manifestation du 11 janvier 2009 contre l'horreur à Gaza. Je m'étais aussi exprimé il y a peu sur ce même blog pour regretter les raccourcis inappropriés entre judaïsme, sionisme et colonialisme". Un signe encourageant pour le CCOJB.
Joël Rubinfeld explique: "Depuis des années, les juifs ne peuvent plus mettre une kippa sans prendre le risque de se faire taper dessus. Les entrées et les sorties d’écoles juives sont sous protection… C’est une question de société qui concerne tous les Belges. Avec la participation de membres éminents du PS, du cdH et d’Ecolo, en tête d’une manifestation où l’on criait "Mort aux juifs!" et où Israël était assimilé aux nazis, sous les bannières du Hamas et du Hezbollah, qui sont les enfants idéologiques du IIIe Reich, un pas de trop été franchi. Nous le savons, le Centre pour l’égalité des chances ne donnera pas suite à la plainte du CCOJB contre les 86 associations organisatrices. Mais, à l’occasion de l’anniversaire de cette triste manifestation, les partis politiques pourraient encore se désolidariser des slogans haineux qu’on y a vus et entendus et rétablir la confiance".
© Le Vif/L'Express
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