Il est très à la mode de défendre, comme le font de brillants géopoliticiens depuis deux semaines, le peuple palestinien. Mais cela ne peut s'improviser. Car, s'il y a lieu de le faire, il faut le faire pour de bonnes raisons. Et non pour être dans la mouvance bien-pensante. C'est pourquoi il faut se méfier de ceux qui, soudainement et probablement en raison de l'ampleur des crimes israéliens récents, se mettent à défendre le peuple palestinien. Malgré leurs bons sentiments, leurs propos reposent souvent malgré tout sur l'idée commune qu'Israël serait un État démocratique – bien qu'il ne respecte pas le droit international – opposé à des forces non démocratiques, voire terroristes. Ce préjugé occidental mérite d'être largement nuancé.
Parce que ses institutions ressemblent aux nôtres, on ne peut conclure qu'Israël est une démocratie ! L'organisation d'élections ne peut pas non plus suffire à décerner un label démocratique. Tout État doit faire la preuve chaque jour de son statut démocratique. Considérer ce statut comme définitif est dangereux. Alors, quels critères pourrions-nous faire nôtres pour déterminer ce qui définit la démocratie, en Israël, en Palestine et ailleurs ?
Le respect du droit international ? Israël ne respecte plus les résolutions de l'ONU depuis au moins 42 ans, date à laquelle il lui a été pour la première fois demandé de mettre fin à l'occupation et à la colonisation illégales de la Palestine. L'expansionnisme a caractérisé à tout moment la politique étrangère d'Israël depuis sa création unilatérale en 48. Ce qui n'a cessé de miner la vie des Palestiniens. Presque tous les aspects du droit international et, plus particulièrement, le droit de la guerre s'en sont trouvés bafoués (lire l'avis de la Cour internationale de Justice du 9 juillet 2004). Un summum, souvent passé sous silence, est l'accession illégale et clandestine d'Israël, dès les années cinquante, à l'armement nucléaire, avec l'aide de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis, notamment. Comment s'étonner que l'Iran souhaite à son tour contourner le Traité de non prolifération nucléaire ?
Essayons un autre critère. La place de l'extrême droite ? En Israël, l'extrême droite, belliqueuse et raciste (de l'avis même des élus traditionnels, à gauche comme à droite), a fait partie du gouvernement Olmert comme du gouvernement Sharon qui le précédait. Lors des accessions du parti fasciste du farouchement anti-arabe Avigdor Lieberman au sein des coalitions gouvernementales, personne ou presque en Europe ne s'est indigné. L'Union européenne a pourtant un réel pouvoir sur Israël, puisqu'elle demeure en tête de ses partenaires commerciaux. Passons.
Le respect des minorités ? La discrimination subie par la minorité arabe d'Israël (18% de la population totale) atteint actuellement un paroxysme, puisque les deux partis politiques qui les représentent le mieux viennent d'être interdits d'élections pour le round électoral qui se tiendra début février. Les discriminations « légales » donnent le « la » aux discriminations latentes et quotidiennes (lire le dernier rapport de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme). Ainsi, nombre d'allocations sociales ne sont pas accessibles aux arabes, dont les villages ne font pas l'objet du même développement que les villages à majorité juive. L'accès au logement n'est pas le moindre des problèmes, puisque des organisations juives sionistes contrôlent 93% des terres israéliennes. Pour les arabes israéliens, l'inégalité est déjà inscrite dans la constitution, qui fait d'Israël un « État juif ».
La liberté ? Les plus grandes ONG internationales, dont la très discrète « Croix rouge », attestent de l'usage régulier, voire coutumier, de la torture dans les prisons israéliennes. Les mineurs n'y échappent pas. Les arrestations et détentions arbitraires, de longue durée parfois, sont légions et semblent avoir pour vocation de faire fuir les arabes (de Jérusalem notamment). De nombreux procès, généralement perdus faute de preuves, font état d'aveux signés sous la torture. Des aveux régulièrement rédigés en hébreu.
A contrario, face au démocratique et quasi-occidental État israélien, on trouverait une organisation terroriste : le Hamas. Hier, c'était le Fatah qui était irrémédiablement étiqueté « terroriste ». À propos, quelle définition a-t-on donné au « terrorisme » ? Si le Hamas devait être considéré comme une organisation terroriste, pourquoi les Occidentaux ont-ils envoyés leurs observateurs aux élections de 2006, afin d'attester leur parfaite transparence ?
Non, le Hamas n'est pas démocratique. Là non plus, des élections libres ne peuvent suffire à nous contenter. Le Hamas, même s'il fait beaucoup moins de victimes, vise des cibles civiles, au même titre qu'Israël. En revanche, reprocher au Hamas d'avoir pris le pouvoir contre le Fatah à Gaza révèle une relative ignorance de la situation. Dans un contexte conflictuel, c'est probablement le Fatah qui fomentait un putsch. Même les Gazaouis opposés au Hamas reconnaissent que celui-ci a permis une très nette diminution de la criminalité interne à leur territoire.
Quant aux roquettes artisanales, largement dépourvues de puissance et de précision, destinées notamment à contester le blocus illégal maintenu, avec plus ou moins de sévérité, par Israël depuis son « retrait » de la bande de Gaza en 2005, elles ont fait une douzaine de morts en trois ans. Si le droit international à l'autodéfense pouvait être invoqué ici – ce qui n'est pas le cas – il devrait de toute façon se conformer au principe de proportionnalité qui l'accompagne légalement, ainsi qu'à toutes les autres dispositions du droit de la guerre traditionnellement bafouées par Israël.
Le Hamas a aussi le défaut d'être soutenu par des États peu fréquentables : la Syrie et l'Iran. Mais les interlocuteurs dictatoriaux de l'Occident, c'est-à-dire la Jordanie, l'Égypte ou l'Arabie saoudite par exemples, sont-ils davantage fréquentables ? Il va de soi que le Hamas est un ennemi d'Israël. Cela tombe bien : ce n'est pas entre amis, mais entre ennemis, que toute opportunité de paix se conclut. Nier que l'opportunité existe, c'est balayer d'un revers de la main la paix elle-même. Le Hamas a fait savoir à plusieurs reprises qu'il était prêt, à l'issue d'un dialogue, à reconnaître une frontière proche de la ligne verte (ligne de partage reconnue par l'ONU), sans obliger l'État hébreu à démanteler toutes les grandes colonies illégales qui continuent de se développer en Palestine. Mais Israël préfère se fermer au dialogue et dire, comme il le faisait à l'époque à l'égard du Fatah, qu' « il n'y a pas d'interlocuteur », usant aussi du prétexte que le Hamas refuse de reconnaître l'État d'Israël. Pour le Hamas, cette reconnaissance « de jure » semble devoir rester un atout dans son jeu, qu'il conditionnera probablement un jour à la reconnaissance complète d'un État de Palestine (lire « Le Hamas et la reconnaissance d'Israël », par Paul Delmotte, in Le monde diplomatique, janvier 2007).
Dans les conflits internationaux, rares sont les cas de réconciliation qui n'ont pas mis autour de la table des responsables de crimes de guerre. La politique « réaliste », pragmatique, l'a souvent emporté sur la lutte contre l'impunité. La création de l'État d'Israël repose elle-même sur l'incorporation au gouvernement de criminels du Stern ou de l'Irgoun, milices juives connues pour avoir déposé des bombes sur des marchés arabes.
Évidemment la lecture « démocratie contre terrorisme » est avantageuse pour Israël. Actuellement, elle lui permet d'exclure tout dialogue. Une aubaine pour un État qui semble avant tout considérer qu'il peut obtenir beaucoup plus par la guerre que par la paix. Face à un pays sans État ni armée, l'hyper-puissance israélienne continue d'avoir le champ libre. Puisqu'elle est des nôtres, de notre cercle démocrate.
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